R.M.N

Mathias a fui son travail en Allemagne après un affrontement avec un collègue. Il retourne dans sa Hongrie natale où l’attendent sa femme Ana qui ne veut plus le voir, sa maîtresse Csilla, son père malade et son fils qui refuse de parler, paralysé par un vision venue de la forêt du coin. Tous appartiennent à la communauté hongroise de ce petit village de Transylvanie, communauté d’adoption de Mathias dont les ancêtres étaient Germano-luxembourgeois. Lorsque l’usine de pain industriel dont Csilla est gérante décide de recruter de nouveaux employés, ils ne trouvent pas de réponse parmi la main d’oeuvre locale, insatisfaite des salaires ou partie travailler à l’ouest. Csilla et sa patronne décident d’embaucher des travailleurs Sri-Lankais. La tension monte très vite, les villageois de la communauté hongroise reportant ses peurs sur les trois nouveaux arrivants. Alors qu’il se rapproche de nouveau de Csilla et qu’il peine à gérer les problèmes familiaux, Mathias se retrouve pris en sandwich dans une grogne qui monte en puissance, et qui va bientôt dégénérer.

R.M.N pourrait être le sigle de la Roumanie, mais il signifie aussi I.R.M en roumain. Ce nouveau film de Cristian Mingiu – réalisateur roumain trois fois primé à Cannes – tient les promesses de son titre en livrant une radiographie à fleur de peau de ce qu’est devenu l’Europe, en exploitant un faits divers bien réel qui s’est produit en 2020 dans un petit village roumain. Le village où se situe l’action est à des lieux du rêve communautaire ERASMUS de l’Auberge Espagnole, mais cette vision pessimiste du creuset nous parle, car de telles divisions touchent de façon galopante tous les pays de l’Europe. Mingiu a choisi un anti-héros ordinaire, en apparence intégré, mais qui représente – dans son essence – l’isolement de celui qui n’a pas de vraie communauté.

Très tôt, on comprend que Mathias est roumain, avant de penser qu’il est hongrois, puis de découvrir peu à peu qu’il ne l’est qu’à travers sa belle-famille, ses ancêtres étant originaires d’Allemagne. Cette découverte apporte rétrospectivement une triste ironie à la rixe du début du film. L’homme s’est retrouvé émigré économique dans le pays de ses ancêtres, et traité de gitan (une insulte pour les roumains). Il traîne ensuite en permanence une attitude de retrait, mélange d’agressivité passive et de questionnement. Une attitude qui dissimule peu l’incompréhension patente de son environnement. Aussi, lorsqu’il s’attache sincèrement à Csilla, il ne la défend pas dans sa lutte pour protéger les Sri Lankais. De la même façon, il espère lutter contre le mutisme de son fils en lui inculquant ce qu’on lui a appris pour être un Homme. Alors même que le gamin semble visiblement habité par la peur, à l’image d’une grande partie des adultes de son village, et son repli est proche de celui de son père.

Cristian Mingiu exprime sans retenue la peur d’une communauté retournée en agressivité contre l’étranger, mais cela ne semble pas encore assez. Dans un plan séquence de vingt minutes où il pose sa caméra, il décrit l’assemblée des villageois pour trancher le problème des nouveaux venus. Le spectateur se retrouve face à une juxtaposition de clichés et de mauvaise foi, sans qu’à aucun moment, un commencement de discussion n’ait émergé. On pourrait dire la même chose des « débats » qui ont cours sur nos chaînes infos, mais ici il n’y a ni confort du montage ou d’autres éléments qui peuvent créer une distance. Le spectateur se retrouve contraint de rester au beau milieu de cette impasse de dialogue. Dérangeant et habile, ce plan séquence multiplie les points de vue (il y’a même un français issu d’une ONG) pour cristalliser l’ensemble des maux démontrés depuis le début du film. Dans un monde contraint par la loi économique, l’idéal est un être humain qui s’adapte en permanence. Que celui-ci puisse on non s’adapter, le monde avance, et les coups seront d’autant plus forts pour ceux qui sont au plus bas de l’échelle alimentaire globale. Le film comporte en lui-même un grand paradoxe qui montre l’ampleur du cercle vicieux : Bien qu’ eux même émigrés et chrétiens, les hongrois de cette communauté sont les plus enclins à exclure plus déraciné qu’eux.

R.M.N a de nombreux points communs avec le As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, et pas seulement ces forêts anxiogènes qui symbolisent un retour au primitif. Tous deux, avec des outils différents (l’un le film de genre, l’autre le film social), regardent en face l’un des plus grands maux de notre époque, ce repli dans la peur et l’auto-défense de toute une population qui subit des règles qu’elle ne comprend pas. Là où Sorogoyen tente de le romancer via la mise en avant d’une destinée individuelle, Mingiu observe le chaos identitaire global et nous prend à témoin. Même si moins saisissant sur l’instant, l’effet est tout aussi déstabilisant.

Réalisation : Cristian Mingiu

Scénario : Cristian Mingiu

Directeur de la Photographie : Tudor Vladimir Panduru

Montage : Mircea Olteanu

Cheffe Décoratrice : Simona Paduretu

Direction Artistique : Anca Perja

Ingénieurs du Son : Olivier Dô Hùu, Constantin Fleancu, Marius Leftarache

Production : Tudor Reu, Pascal Caucheteux, Cristian Mingiu, Grégoire Sorlat, Delphine Tomson, Anthony Muir, Kristina Börjeson

Pays : Roumanie

Durée : 2h05

Sortie en salles le 19 octobre 2022

Acteurs Principaux : Marin Grigore, Judith State, Macrina Bârlădeanu, Orsolya Moldován, Andreï Finti, Mark Blenyes, Ovidiu Crisan, Zoltán Deák

Genre : Drame social

Note : 8/10

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