Il y’a des séries qu’on veut aimer avant même de les voir. La nouvelle oeuvre des créateurs de Dark, Baran bo Odar (à la réalisation) et Jantje Friese (au scénario), était après la fin de Better Call Saul la série la plus attendue de cette année. Ce que le duo avait réussi à créer à partir du concept usé jusqu’à la corde du voyage dans le temps était un véritable miracle qui dévoile encore de nouvelles facettes à chaque revoyure. Dark était quelque chose de neuf à tous les niveaux qui réussissait sur tous les chemins empruntés, dans un équilibre toujours juste entre l’intimiste et le métaphysique. Les deux showrunners sont parvenus à bouleverser l’opinion qu’on pouvait se faire d’une série allemande. Pour ce nouveau projet situé en 1899, ils se posent sur un navire transportant des passagers en quête du Nouveau Monde, cet Amérique dont tout le monde parle. Comme Jack dans Titanic, nombre des protagonistes fuient leur condition, et ils ont payé leur billet au prix de plus gros sacrifices. C’est ce que nous apprenons au fur et à mesure des épisodes, à mesure que l’épais brouillard les entourant se lève. Car quelque chose les empêchera de fuir. Le ténébreux et torturé capitaine du navire (Andreas Pietschmann, le Jonas adulte de Dark) – hé oui fuit lui aussi un trauma – a capté le signal du Prometheus, un autre navire disparu depuis de longs mois. Il décide de le rejoindre, contre l’ordre de la compagnie et l’avis des passagers. Seule la docteure Maura Franklin et une poignée de ces migrants le soutiennent dans sa décision, qui sera lourde de conséquences.
Connaissant les créateurs, on se doute que ce pitch est la partie visible d’un iceberg qu’on voudrait dévorer comme une glace. Ces premières couches sont séduisantes, avec une étonnante reconstitution, une réalisation toujours aussi appliquée et des éléments intrigants qui font monter l’angoisse. Mais on sent aussi très vite que le temps s’étire. La grande qualité de Dark est d’avoir su laisser des zones d’ombre intactes jusqu’à son avant-dernier épisode, mais elle a livré très tôt les clés qui permettaient de comprendre sa logique. Il ne fallait pas attendre plusieurs épisodes pour passer du polar au récit de S-F. 1899 préfère diluer pour qu’on puisse s’acclimater avec ces différents passagers, qui, pour une raison très logique au récit – ne sont que des archétypes de leur époque. La présence d’un casting soigneusement sélectionné n’enlève pas la pauvreté de la caractérisation de ces personnages et la difficulté à les connaître au-delà de leur conflit personnel. Une construction à la Lost (le passé d’un héros un peu plus mis en avant à chaque épisode) créé un effet de familiarité trop présent. La réalité derrière la façade qui nous est présentée achève ce sentiment de détachement des personnages, et parfois d’ennui. Sans spoiler le virage S-F choisi par 1899, on dira qu’il est très difficile et que presque toutes les fictions qui s’y sont risquées ont offert un résultat désincarné. Cette série ne faillit pas à la tradition. On relevait ça et là dans la troisième saison de Dark un penchant pour l’abstraction, pour l’imagerie religieuse. Il s’exprime ici un peu trop librement, sans véritable ancrage émotionnel, si ce n’est de vagues traumas. L’abstraction et l’onirisme débarquent toujours sans crier gare et sans véritable raison, et les dialogues semblent se regarder un peu trop penser.
Pourtant il y’a beaucoup de Dark dans cette deuxième oeuvre : une histoire familiale, des tragédies, plusieurs mondes juxtaposés, une construction en poupée russe pilotée par un marionnettiste qu’on aurait pas soupçonné, une musique sinistre et entêtante (toujours le talentueux Ben Frost), l’utilisation avisée de la pop à chaque fin d’épisode (Le meilleur est sur la reprise de White Rabbit pour le générique). Mais c’est un peu comme si Christopher Nolan s’était emparé de l’univers de Dark pour l’expurger de son humanité, n’en laissant que les aspects les plus théoriques. 1899 reste pourtant intéressant à plus d’un titre. Son casting international et le parti-pris de laisser chacun tourner dans sa langue est une belle idée, dans une période de repli et de recul de l’identité européenne. Mais le trop plein de dialogues de sourds entre personnes ne se comprenant pas tourne un peu à l’absurde. Exploiter le domaine de la gestuelle et le non-dit entre les différents passagers aurait été bien plus efficace. La COVID a amené Baran Bo Odar et Jantje Frieze à opter pour des tournages sur des fonds de paysage virtuels plaqués sur des écrans LED géants dans les studios de Balbelsberg (en Allemagne). Le résultat est bluffant, et on ne saura trop conseiller de visionner le making-of sur Netflix qui en dit un peu plus sur cette nouvelle technique, tout en révélant les méthodes du travail de ce duo de showrunner hors du commun. Cette déception ne nous empêchera pas d’être présent pour la saison 2 qui explorera la strate suivante de la poupée russe.
Créateurs / Showrunners : Baran bo Odar, Jantje Friese
Scénario : Jantje Friese, Baran bo Odar, Juliana Lima Dehne
Réalisation : Baran bo Odar
Directeur de la photographie : Nikolaus Summerer
Montage : Denis Bachter, Anja Siemens, Sofia Lindgren, Ascanius Böttger
Musique : Ben Frost
Chef Décorateur ; Udo Kramer
Direction Artistique : Michael Fissneider, Nick Murray
Costumes ; Bina Daigeler
Casting : Lucy Bevan, Emily Brockmann
Production : Benedikt Bothe, Philipp Klausing, Pat Tookey-Dickson, Baran bo Odar, Janthe Friese
Pays : Allemagne, USA
Durée : 8 x 52 mn
Diffusée sur Netflix depuis le 17 novembre 2022

Acteurs Principaux : Emily Beecham, Aneurin Barnard, Andreas Pietschmann, Fflyn Edwards, Miguel Bernardeau, José Pimentão, Isabella Wei, Yann Gael, Mathilde Olivier, Jonas Bloquet, Rosalie Craig, Gabby Wong, Maciej Musiał, Clara Rosager, Maria Erwolter, Lucas Lynggaard Tønnesen, Alexandre Willaume, Anton Lesser, Isaak Dentler, Tino Mewes
Genre : Historique, Fantastique, S-F, Drame, Thriller
Note : 6/10
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